Edito
Aujourd’hui, l’expertise chirurgicale de l’IRCAD rayonne grâce à ses sept instituts miroirs, à Taïwan, au Brésil (2), au Liban, au Rwanda, où le centre de recherche et de formation situé à Kigali sera inauguré en 2023, aux Etats-Unis et bientôt en Chine.
L’IRCAD rayonne aussi grâce à WebSurg, son université en ligne gratuite créée il y a plus de 20 ans, qui forme des chirurgiens de tous les continents – elle compte 470 000 membres – et propose d’accéder à des cours et des vidéos, conçus par les meilleurs experts internationaux, dans 16 spécialités chirurgicales.
Depuis sa création, l’Institut a été un catalyseur d’innovation, grâce sa communauté de chercheurs, de médecins, d’ingénieurs, qui travaillent avec enthousiasme et rigueur à dessiner la médecine et la chirurgie du futur.
Cette newsletter a pour vocation de les faire connaître et de présenter les innovations développées ou en cours de développement, qui contribuent à changer le visage de la médecine et à réduire les inégalités d’accès aux soins. Dans ce premier numéro, c’est Alexandre Hostettler, directeur de la “Surgical Data Science Team” de l’IRCAD France et de l’IRCAD Africa, qui présente un projet susceptible de révolutionner en particulier le suivi des grossesses en Afrique et partout où les médecins viennent à manquer.
Professeur Jacques Marescaux
Président et fondateur de l’IRCAD
L’interview du mois
Les innovations développées par l’IRCAD France et l’IRCAD Rwanda pour démocratiser l’accès aux soins en Afrique et dans nos déserts médicaux.
Alexandre Hostettler,
Head of Surgical Data Science Team
IRCAD France & IRCAD Africa
A la tête du département Surgical Data Science, dont l’objectif est d’améliorer les résultats de la chirurgie grâce à des systèmes logiciels fondés sur l’intelligence artificielle, Alexandre Hostettler dirige le projet Disrumpere*, mené conjointement par des chercheurs français et rwandais. Celui-ci a pour objectif de démocratiser l’usage diagnostique et thérapeutique de l’imagerie échographique.
En quelques mots, quelle est l’ambition de Disrumpere ?
Alexandre Hostettler : Disrumpere est un projet qui doit permettre d’élargir l’accès aux soins, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. Comment ? En augmentant les capacités de sondes d’échographie portables, peu onéreuses, afin de rendre leur utilisation accessible à un non expert. Le projet est mené par l’IRCAD France et l’IRCAD Africa, dont les équipes d’ingénieurs et de chercheurs sont très motivées à l’idée de concevoir un outil qui pourra véritablement changer la donne en Afrique, mais également dans nos déserts médicaux : aujourd’hui, sur la planète, 5 milliards d’humains n’ont aucun accès à l’imagerie médicale.
Quelles sont les grandes lignes du projet ?
A.H. : Il y a plusieurs volets au projet : un volet diagnostic et suivi, qui repose sur le développement d’algorithmes performants pour réaliser des examens permettant de détecter aisément les pathologies les plus courantes ; un volet robotique afin de démocratiser l’usage de la chirurgie percutanée augmentée, qui consiste à utiliser des aiguilles pour effectuer des biopsies ou détruire les tumeurs cancéreuses de petite taille sous guidage échographique.
Nous travaillons avec des sondes échographiques portables, peu onéreuses – quelques milliers d’euros, soit 10 à 15 fois moins qu’un échographe hospitalier premium standard et plus de 100 fois moins qu’un équipement de type scanner ou IRM. Leur portabilité et leur facilité d’utilisation doit permettre de lever les freins au suivi médical dans des zones où il n’y a pas suffisamment de médecins ou de centres de soins équipés. Autres avantages de l’échographie : il s’agit d’une imagerie qui n’utilise pas les rayons X – à la différence, notamment, du scanner ; elle permet de réaliser des actes de dépistage, de diagnostic, de suivi, de biométrie, et notamment de biométrie fœtale. Elle peut être aussi utile pour guider un geste de chirurgie percutanée, par exemple, pour réaliser une biopsie ou encore pour détruire des tumeurs à un stade précoce. En outre, étant donné qu’elle fournit des images acquises en temps réel, elle peut avantageusement servir à guider un acte de chirurgie percutanée robotisé.
Cependant, l’échographie est une discipline difficile à maitriser et nécessite une grande expertise. Par ailleurs, elle fournit des images plus difficiles à interpréter qu’un scanner ou une IRM. C’est la raison pour laquelle nous développons des logiciels qui, en particulier grâce à l’intelligence artificielle, assistent les utilisateurs dans la réalisation d’examens et traitent les images afin d’en améliorer la compréhension.
Pouvez-vous donner quelques exemples concrets pour illustrer votre propos ?
J’aborderai le volet examen, que nous menons avec l’aide précieuse du Dr. Benoit Sauer du groupe d’imagerie médical MIM. Pour réaliser un bon examen, il faut d’abord être capable de voir l’entièreté des structures anatomiques cibles. Pour ce faire, nous développons des algorithmes qui permettent d’identifier les différentes portions de l’organe cible effectivement visualisées. Cela permet à un novice de réaliser l’examen. Nous finalisons notamment un brevet qui porte sur l’exhaustivité au cours de l’examen du foie.
Nous développons également des algorithmes qui sont capables de détecter des pathologies : par exemple la présence de tumeur ou encore l’évaluation de la stéatose hépatique. Pour la stéatose hépatique, l’enjeu en termes de santé publique est colossal : parce que la stéatose est très répandue, parce qu’elle est la première étape d’un processus pathologique qui peut évoluer, si on ne le traite pas, vers une fibrose, puis une cirrhose, voire un cancer ; parce que, malgré sa fréquence, elle ne fait pas l’objet d’un dépistage et d’un suivi en Afrique. Ainsi, en septembre dernier, Guinther Saibro, un des quatre thésards associés au projet Disrumpere, a présenté à Singapour une étude concernant l’évaluation automatique de la stéatose à l’International Conference on Medical Image Computing and Computer-Assisted Intervention, congrès de référence dans le domaine.
Enfin, nous avons beaucoup progressé sur le développement de logiciels d’assistance à la biométrie fœtale pour donner suite à une demande du ministre de la Santé rwandais. Les mesures du fœtus sont essentielles pour le suivi de la grossesse. Or, aujourd’hui, sur le continent africain, la grande majorité des femmes n’a pas accès à ces examens. Notre objectif est de proposer une solution qui permette de démocratiser l’accès à la biométrie fœtale, même dans les pays ou les régions dans lesquelles il manque cruellement de praticiens et d’équipements.
Pouvez-vous détailler le projet relatif à la biométrie fœtale ?
La biométrie fœtale consiste à mesurer régulièrement le fœtus au cours de la grossesse afin d’obtenir des informations essentielles comme le terme auquel il va naître et son poids. La mesure de la longueur cranio-caudale du fœtus au 1er trimestre permet d’évaluer précisément le terme de la grossesse. Cette information est capitale car elle permet d’anticiper la date de l’accouchement (y compris en rapprochant la mère des structures de soins), de déclencher l’accouchement en cas de dépassement du terme, mais également de mieux identifier un risque de prématurité et bon nombre de complications possibles.
La mesure des périmètres crâniens et abdominaux ainsi que celle de la longueur du fémur permettent, quant à elles, d’évaluer le poids du bébé, ce qui est utile, notamment, pour surveiller son développement, en particulier en cas de malnutrition de la mère.
Notre projet vise à automatiser ces mesures afin de les rendre accessibles à n’importe quel opérateur. Pour cela, nous avons développé deux types d’algorithme, basés sur l’IA :
- l’un, capable d’identifier, à partir des structures anatomiques, le plan d’échographie spécifique correspondant à la position exacte dans laquelle la mesure (périmètre de l’abdomen, du crâne, longueur cranio-caudale ou bien longueur du fémur) doit être réalisée ;
- l’autre, capable d’effectuer automatiquement cette mesure.
Dans le cadre de notre protocole de recherche, nous avons comparé les mesures effectuées par le Pr Nicolas Sananes, spécialisé en échographie et en médecine fœtale aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS), à celles réalisées par plusieurs étudiants, plus ou moins aguerris, et celles réalisées par nos algorithmes. Sur les 60 tests déjà effectués, dans 100% des cas, les algorithmes ont obtenu des résultats équivalents ou légèrement supérieurs aux étudiants, tout en restant extrêmement proches des résultats obtenus par le Pr Nicolas Sananes lui-même.
Une autre fonctionnalité en cours de développement transformera l’échographie standard 2D en imagerie 3D afin de faciliter la manipulation de la sonde par un novice : un premier balayage de tout le fœtus permettra d’avoir accès à une reconstitution de celui-ci en 3D, ce qui facilitera le positionnement de la sonde pour les différentes mesures et l’inspection de la morphologie du bébé. En effet, il est alors possible de visualiser en temps-réel la position relative de la sonde par rapport à l’image 3D du fœtus acquise initialement. Cette approche innovante a donné lieu à la création d’un premier brevet en fin d’année dernière.
En début d’année 2023, nous allons effectuer une campagne d’acquisition de données auprès de 1 000 femmes enceintes pour adapter nos algorithmes à notre sonde portable. Dans un second temps, nous les testerons sur notre application finalisée auprès de 1 000 autres femmes. Après cette étape, qui devrait s’achever courant 2023, nous serons en mesure d’organiser des campagnes d’échographies fœtales à grande échelle et à faible coût pour répondre aux besoins du Rwanda, et au-delà, aux besoins du continent africain qui compte en moyenne plus de 4 enfants par femme. Une perspective enthousiasmante, qui motive et soude l’équipe franco-rwandaise autour d’un objectif concret dont l’impact est majeur.
Disrumpere : « Democratization of automatic diagnosis, screening, biometrics and augmented percutaneous surgery assisted by artificial intelligence » démocratisation du diagnostic, du dépistage, de la biométrie et de la chirurgie percutanée augmentée assistés par l’intelligence artificielle.
A propos de l’IRCAD :
Créé en 1994 par le Professeur Jacques Marescaux, l’IRCAD est un institut dédié à la formation et à la recherche sur la chirurgie mini-invasive. L’Institut strasbourgeois est un centre de renommée internationale, réputé pour l’excellence de ses formations qu’elles soient présentielles – près de 6 200 chirurgiens du monde entier sont formés, chaque année à Strasbourg – ou virtuelles, avec l’université en ligne Websurg, entièrement gratuite, qui compte plus de 430 000 membres connectés dans le monde entier. Suivez l’IRCAD sur Twitter, Instagram, Facebook ou LinkedIn.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://www.ircad.fr/fr/surgical-data-science/
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