Edito
L’IRCAD termine l’année 2024 avec l’honneur d’accueillir à Strasbourg, du 11 au 13 décembre, le Congrès annuel de la Société Française d’Onco-Gynécologie (SFOG) qui regroupe les diverses spécialités impliquées dans le traitement des cancers gynécologiques (pelviens). Cette 32e édition est consacrée à la personnalisation de la prise en charge des patientes, thématique s’appliquant parfaitement à la chirurgie mini-invasive, qui ne cesse de faire progresser l’individualisation des traitements en proposant des solutions toujours plus innovantes et diversifiées. L’onco-gynécologie a ainsi rapidement emboité le pas de l’urologie en introduisant dans sa pratique dès 2010 la chirurgie assistée par robot, dont l’usage s’accélère ces cinq dernières années. Dans le cancer de l’endomètre par exemple, la précision du robot peut permettre de préserver la fertilité, véritable enjeu de la prise en charge de la patiente jeune. Chez les patientes à très haut risque chirurgical, l’approche par voie naturelle NOTES, développée par l’IRCAD dès 2004 (programme ANUBIS), peut constituer une option de choix en passant par l’abord vaginal, plus direct. Associées aux solutions mini-invasives, la meilleure visualisation issue de la « réalité augmentée » et la puissance de l’intelligence artificielle démultiplient les capacités diagnostiques et thérapeutiques pour adapter le plus précisément possible la prise en charge. Sur tous ces sujets, l’IRCAD et la SFOG travaillent ensemble, de la recherche à l’enseignement, faisant progresser la survie et la qualité de vie des patientes.
Expert phare de nos formations depuis de nombreuses années, le Professeur Cherif Akladios, Président de la SFOG et Chef du Pôle de Gynécologie-Obstétrique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, partage les enjeux de cette 32e édition du Congrès et ses perspectives sur la personnalisation du traitement en onco-gynécologie.
Professeur Jacques Marescaux
Président et Fondateur de l’IRCAD
L’interview du mois
Chirurgie mini-invasive : des solutions diversifiées au service de la personnalisation du traitement des cancers gynécologiques.
Professeur Chérif Akladios
Chef du Pôle de Gynécologie-Obstétrique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et Président de la Société Française d’Oncologie-Gynécologie.
Professeur Akladios, le 32e Congrès de la SFOG (Société Française d’Oncologie Gynécologique) s’ouvre le 11 décembre à l’IRCAD, quels sont les enjeux de cette édition consacrée à la personnalisation du traitement des cancers gynécologiques ?
Professeur Chérif Akladios: La SFOG a comme particularité de réunir diverses spécialités (gynécologues, oncologues médicaux, radiothérapeutes, radiologues, anatomo-pathologistes, généticiens) autour de leur point commun, la prise en charge des cancers féminins pelviens. Cette pluridisciplinarité reflète l’approche diagnostique et thérapeutique qui doit être mise en œuvre pour chaque cas. Cette année, nous voulons renforcer la nécessité de personnaliser autant que possible la prise en charge des patientes et de diffuser le plus largement possible les informations portant sur les approches validées, celles qui ne le sont plus et celles pour lesquelles des questions restent en suspens. Les connaissances évoluent rapidement et nous ne sommes déjà plus dans les mêmes recommandations qu’il y a 5 ou 10 ans. La survie est bien meilleure aujourd’hui car nous comprenons mieux les cancers et nous disposons de meilleurs traitements et d’options plus diversifiées : chimiothérapie, hormonothérapie, radiothérapie, immunothérapie, chirurgie mini-invasive… Le niveau des connaissances n’étant pas encore homogène sur tout le territoire français, il faut continuer nos efforts d’information.
Par exemple, les cancers ont longtemps été considérés selon une classification par stade. Or, avec le développement de la recherche, nous pouvons maintenant caractériser les cancers sur le plan moléculaire et ce ne sont plus vraiment les stades qui comptent. Auparavant, une tumeur localisée, à un stade précoce, était considérée comme étant de bon pronostic. Aujourd’hui, les notions d’agressivité et de pronostic ne sont plus uniquement rattachées au stade de la maladie mais aussi, et surtout, au profil moléculaire de la tumeur. Ainsi, même à un stade très précoce, un cancer de l’endomètre porteur de la mutation P53 est forcément plus agressif et de moins bon pronostic qu’un cancer sans cette mutation. Nous devons donc raisonner autrement, ne pas nous arrêter à déterminer jusqu’où va la tumeur mais chercher à savoir de quoi elle est faite, connaître son identité moléculaire pour mieux adapter son traitement. C’est vraiment ce message que nous souhaitons passer auprès de la communauté médicale.
Nous souhaitons également mieux informer le grand public et nous avons débuté une campagne de sensibilisation à l’occasion de Septembre Turquoise.
Le Congrès se tient cette année à l’IRCAD France, pionnier de la recherche et de l’enseignement des techniques mini-invasives, pouvez-vous nous parler des interactions existant entre la SFOG et l’IRCAD ?
Pr. C. A. : Le recours à la chirurgie mini-invasive est aujourd’hui privilégié dans la plupart des cancers gynécologiques et la chirurgie robotique commence à prendre une place de plus en plus importante.
Prenons l’exemple du cancer de l’endomètre, qui est le cancer pelvien le plus fréquent (environ 9000 cas par an). Sa prise en charge passe obligatoirement par la recherche d’un ganglion sentinelle, par coelioscopie classique ou assistée par robot. D’autre part, un des principaux facteurs de risque de ce cancer est l’obésité car il s’agit, dans la grande majorité des cas, d’un cancer hormonosensible et les patientes obèses ont un taux élevé d’oestrogènes, généré par la graisse. Or, la chirurgie de la patiente obèse est compliquée par le volume graisseux, il est difficile d’accéder aux organes et de les visualiser. Un des plus grands atouts de la chirurgie robotique est ainsi de pouvoir opérer plus facilement ces patientes obèses car le robot permet grande précision et une meilleure visualisation.
La prise en charge des cancers gynécologiques nécessite donc forcément d’apprendre les techniques mini-invasives et l’IRCAD est reconnu sur le plan national et international comme l’endroit où il faut aller se former à cela. C’est le centre de formation de référence aussi bien pour la coelioscopie que pour la chirurgie robotique. L’IRCAD permet chaque année à près de 9 000 chirurgiens de venir du monde entier suivre un enseignement de pointe, portant aujourd’hui sur 18 spécialités de chirurgie laparoscopique ou robotique. Il faut savoir que la plateforme robotique de l’IRCAD est unique au plan mondial. Avec plus d’une trentaine de robots, il s’agit de la plus grande plateforme existante, elle permet de dispenser 5 formations différentes, chacune assurée par une vingtaine d’experts internationaux.
Les enseignements de cancérologie gynécologique sont donc tout naturellement organisés à l’IRCAD avec la participation de membres de la SFOG. J’y assure très régulièrement des cours internationaux. D’autre part, l’IRCAD est également un centre de recherche de référence en termes de cancérologie et plusieurs projets y sont menés en collaboration avec des membres de la SFOG et de la SFOG Campus.
Les interactions entre la SFOG et l’IRCAD sont donc étroites, permettant de faire progresser la prise en charge des cancers pelviens gynécologiques.
L’approche « vNOTES » est au programme du Congrès, quel est votre point de vue sur cette technique mini-invasive qui permet de passer par une voie naturelle (vaginale) pour accéder à l’utérus et aux ovaires, sans donc laisser de cicatrice extérieure ?
En chirurgie gynécologique, l’utilisation de la voie vaginale offre aux patientes l’avantage d’éviter une cicatrice abdominale et de diminuer les douleurs post-opératoires et la durée d’hospitalisation. Cependant, l’abord vaginal classique est associé à une visualisation difficile des structures et organes pelviens, ce qui est une vraie préoccupation en chirurgie onco-gynécologique. Le recours à vNOTES, qui est une coelioscopie par voie vaginale, permet de bien voir ce qu’on fait. Néanmoins, en insufflant le vagin pour créer le pneumo-vagin, l’utérus subit forcément une manipulation et cela pourrait entraîner un risque que des cellules cancéreuses s’échappent lors de cette manipulation et migrent. Beaucoup de discussions ont déjà eu lieu sur ce sujet et sont toujours en cours. Je dirais pour ma part que l’intérêt de vNOTES en onco-gynécologie n’est pas encore clairement établi, il manque une étude prospective de phase 3 démontrant l’absence de perte de chance.
Il est à noter que vNOTES pourrait être une option de choix chez les patientes obèses, en association avec l’utilisation du robot. Par exemple, j’ai une patiente très obèse (IMC=67) et dans ce cas, l’utérus est vraiment difficile d’accès, que ce soit par une voie basse simple ou par coelioscopie classique. L’hystérectomie est très compliquée, même avec l’utilisation du robot. En passant par la voie vaginale et avec l’assistance de la coelioscopie, nous ne sommes plus gênés par toute cette paroi abdominale qui exerce une compression, la place devient suffisante et la visualisation est bonne, il est alors possible de travailler précisément.
La réalité augmentée et l’intelligence artificielle sont également au programme de cette 32e édition, quel est votre point de vue sur leur apport en onco-gynécologie ?
Ce sont de formidables avancées qui impactent déjà notre pratique et font progresser la prise en charge des patientes. La réalité augmentée donne la possibilité de facilement interposer, dans l’écran du robot, l’image du scanner ou de l’IRM et d’être donc très précis et exhaustif dans les gestes. En ce qui concerne l’intelligence artificielle, elle permet notamment d’améliorer le diagnostic des cancers. Un bon diagnostic change forcément le pronostic, surtout lorsqu’on dispose comme aujourd’hui des bons outils thérapeutiques.
Les recherches se poursuivent et deux études sont en cours avec l’IRCAD en particulier. L’une porte sur l’utilisation de la réalité augmentée dans la détection du ganglion sentinelle dans les cancers de l’endomètre. Elle est menée en collaboration entre l’IRCAD, l’IHU de Strasbourg et l’Hôpital Universitaire Gemelli (Rome). L’autre étude porte sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le diagnostic pré-opératoire du cancer de l’endomètre également, elle est menée en collaboration entre le Pôle de Gynécologie-Obstétrique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, l’IRCAD et l’IHU de Strasbourg.
Pourrait-on imaginer à terme que l’intelligence artificielle associée au robot chirurgical puisse assurer certaines interventions sans plus nécessiter le pilotage du chirurgien ?
Je ne le pense pas parce qu’en fait, chaque personne est différente et cela nous ramène à la thématique de cette 32e édition, la personnalisation.
Si l’anatomie humaine reste globalement la même d’un individu à un autre, aucune personne n’est exactement faite comme une autre, ne serait-ce que par son historique médical, par exemple la présence d’adhérences consécutives à une intervention chirurgicale.
On peut donc nourrir le logiciel IA avec toutes les informations disponibles, il n’est pas pour autant possible de lui fournir tous les détails nécessaires pour appréhender complètement chaque cas à traiter. La « machine » peut disposer d’une grande connaissance mais elle n’est pas autonome, il faut la guider, la mettre sur des rails. L’expertise humaine reste indispensable.
À propos de l’IRCAD :
Créé en 1994 par le Professeur Jacques Marescaux, l’IRCAD est un institut dédié à la formation et à la recherche sur la chirurgie mini-invasive. L’Institut strasbourgeois est un centre de renommée internationale, réputé pour l’excellence de ses formations qu’elles soient présentielles – près de 8 800 chirurgiens du monde entier sont formés chaque année à Strasbourg – ou virtuelles, avec l’université en ligne Websurg, entièrement gratuite, qui compte plus de 470 000 membres connectés dans le monde entier.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://www.ircad.fr/fr/
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