Édito
La Journée mondiale de l’obésité se tiendra, comme chaque année, le 4 mars. L’obésité est un fléau qui progresse partout dans le monde. En France, 17 % de la population en souffre ; 35 % aux Etats-Unis. L’obésité est une maladie à part entière, souvent liée à d’autres pathologies comme les anomalies du métabolisme (diabète de type 2, cholestérol, triglycérides), les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, l’apnée du sommeil ou encore les troubles musculosquelettiques etc. Elle augmente aussi le risque de cancer : ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) soulignait en 2022 que l’obésité pourrait devenir le premier facteur de risque de cancer, devant le tabagisme.
L’obésité a un impact négatif sur l’espérance de vie, qui décroît proportionnellement au poids (elle est diminuée de 10 ans pour les personnes présentant une obésité sévère) ; elle pèse aussi sur l’insertion professionnelle des personnes touchées et, d’une manière générale, sur l’économie. Aujourd’hui, l’OCDE estime que dans les 30 années à venir, ses pays membres devront consacrer en moyenne de 8,4% de leur budget de la santé aux problèmes liés au surpoids.
Dès sa création, l’IRCAD s’est intéressé à l’obésité et à la formation aux techniques chirurgicales développées pour la traiter, avec l’intuition que cela apporterait de grands bénéfices aux patients. De nombreuses études l’ont confirmé, montrant que la chirurgie permettait d’obtenir, chez les patients souffrant d’obésité sévère, de meilleurs résultats que d’autres traitements avec une amélioration significative des troubles du métabolismes, ainsi qu’une diminution de la mortalité globale. Afin de mieux comprendre ces avancées, le docteur Michel Vix cofondateur de l’IRCAD, membre de l’Institut européen de téléchirurgie (EITS) et spécialiste de la chirurgie bariatrique, fait le point, en amont de la journée mondiale, sur les progrès d’une discipline en plein essor qui a changé la prise en charge de l’obésité.
Professeur Jacques Marescaux
Président et fondateur de l’IRCAD
L’interview du mois
Le traitement de l’obésité, comme celui du cancer, sera de plus en plus multimodal alliant chirurgie, médicaments et actions sur le mode de vie.
Dr. Michel Vix
Membre fondateur de l’IRCAD
Spécialiste en chirurgie bariatrique
Membre fondateur de l’IRCAD, chirurgien en chirurgie générale et digestive, le docteur Michel Vix s’est spécialisé dans la chirurgie de l’obésité morbide. Il est membre de plusieurs sociétés savantes dont l’Association française de chirurgie endocrinienne et la Société française de chirurgie digestive.
Monsieur Vix, vous faites partie des membres fondateurs de l’IRCAD, aux côtés du professeur Marescaux, qu’est-ce qui vous a conduit à vous joindre à l’aventure IRCAD ?
Dr. Michel Vix: Probablement le goût de la chirurgie et le goût du progrès. J’ai rencontré le professeur Marescaux au début de mon internat, à Strasbourg, lors du semestre indifférencié que j’ai passé dans le service du professeur Sibilly. L’activité du service de chirurgie générale et endocrinienne était partagée entre les urgences et la chirurgie, et j’ai demandé à Monsieur Marescaux, alors agrégé dans le service, la possibilité, en sus des urgences, d’avoir une fonction en chirurgie afin de mieux me préparer à mon poste suivant en chirurgie à Lille.
En fin de cursus, en 1992, lorsque je suis retourné dans le service, j’ai retrouvé le professeur Monsieur Marescaux. J’avais, cette fois-ci, des responsabilités plus importantes comparables à celles des docteurs juniors aujourd’hui, à la fois en chirurgie digestive et en chirurgie endocrinienne. C’était l’époque des prémices de l’IRCAD : j’ai vécu les premières réflexions autour du projet avant de rejoindre l’institut à sa création, en 1994, et de participer à ses cours et à ses enseignements. Nous étions tous mus par la volonté de faire progresser la chirurgie mini-invasive à travers, notamment, les nouvelles technologies comme la robotique.
Vous vous êtes spécialisés dans la chirurgie bariatrique, pouvez-vous nous rappeler à qui s’adresse cette chirurgie ?
Dr. M. V. : La chirurgie bariatrique s’adresse aux personnes qui souffrent d’une obésité morbide, définie par un indice de masse corporel supérieur à 40, ou à celles souffrant d’une obésité sévère associée à une comorbidité comme le diabète, l’hypertension artérielle l’hypertriglycéridémie, que la chirurgie permet d’améliorer. Les différentes techniques ont pour principe de diminuer l’absorption des aliments et de réduire l’appétit. Mais la chirurgie seule ne suffit pas. Elle s’inscrit dans un parcours pluridisciplinaire qui allie la compréhension de l’origine de l’obésité, la mise en œuvre d’actions sur le mode de vie, d’une éducation thérapeutique ainsi que d’un accompagnement psychologique. Le succès de l’opération dépend de l’engagement du patient, qu’il faut encourager à adopter de nouvelles habitudes alimentaires, à pratiquer une activité physique régulière, à se supplémenter pour compenser la perte de nutriments consécutive à l’intervention. Il est aussi nécessaire de poursuivre un suivi médical régulier après l’intervention chirurgicale.
Comment la chirurgie de l’obésité s’est-elle développée ?
Dr. M. V.: La chirurgie de l’obésité est relativement récente, puisqu’elle est apparue dans les années cinquante, lorsque l’on a cherché à comprendre la cause de l’obésité et la façon dont on pouvait parvenir à faire maigrir les patients obèses.
Les premières chirurgies consistaient à retirer une partie de l’intestin pour éviter que le patient n’absorbe trop les aliments. A cette époque, il s’agissait d’une chirurgie ouverte d’autant plus compliquée que l’on n’avait pas les instruments dont on dispose aujourd’hui. Elle était réservée aux cas les plus graves et les conséquences de l’intervention sur le patient étaient très importantes, dues à l’excès de malabsorptions et à ses conséquences.
A partir des années soixante, la chirurgie a intégré l’estomac. L’une des premières chirurgies, décrite par Mason, consistait à la fois à rétrécir l’estomac dans le prolongement de l’œsophage et à créer une sorte de partition, grâce à la fixation d’une bande séparant la partie supérieure de l’organe afin de favoriser une satiété précoce. Puis, sont apparus le bypass visant à relier le jéjunum (c’est-à-dire la portion centrale de l’intestin grêle, où sont absorbés la plupart des nutriments) à l’estomac, l’intervention de Scopinaro qui consistait à connecter l’estomac avec la partie la plus éloignée de l’intestin grêle pour diminuer un peu plus l’absorption des nutriments, ou encore la dérivation biliopancréatique de Marceau et Hess, qui permettait de raccourcir considérablement la digestion des aliments par les sucs digestifs. Les interventions étaient très complexes et reposaient sur deux grands principes : la réduction de l’estomac et les malabsorptions. Ainsi, ces interventions, qui sont encore parfois pratiquées aujourd’hui, notamment la dérivation biliopancréatique, permettaient non seulement d’obtenir rapidement une perte de poids importante mais aussi de résoudre des comorbidités comme le diabète ou des triglycéridémies. Cependant, elles nécessitaient d’importantes supplémentations (en vitamines, fer, protéines, etc.) contraignantes et coûteuses pour le patient.
Ensuite, dans les années 80, sont apparus les premiers anneaux gastriques, d’abord non adaptables, puis adaptables. L’anneau gastrique sépare l’estomac en deux poches qui communiquent : la plus petite, située en haut de de l’estomac, se remplit vite, ce qui permet d’atteindre la satiété plus rapidement. La chirurgie de l’obésité s’est démocratisée à cette époque-là, avec ces nouvelles techniques et l’utilisation de la laparoscopie, comme avec l’apparition d’instruments qui ont facilité la chirurgie. C’est aussi dans les années 80 (à partir de 1987) que les autres interventions, jusqu’alors réalisées en chirurgie ouverte, ont été adaptées en chirurgie laparoscopique.
Enfin, la sleeve est arrivée et s’est imposée. Elle consiste à réduire l’estomac des deux tiers, de façon longitudinale, en chaussette, en enlevant la partie de l’estomac qui produit une partie de l’hormone de la faim (la ghréline). La sleeve agit donc sur l’appétit de façon à la fois mécanique et hormonale. Aujourd’hui, c’est l’intervention la plus souvent réalisée ; elle peut être complétée, dans un second temps, par une dérivation biliopancréatique pour ajouter des effets liés à la malabsorption.
Quelle a été la contribution de l’IRCAD au développement de la chirurgie de l’obésité ?
Dr. M. V.: L’IRCAD s’est engagé, dès 1996, dans la formation à la chirurgie de l’obésité. L’institut a participé à la formation des chirurgiens aux différentes techniques de chirurgie bariatrique par l’abord laparoscopique, puis par l’abord robotique qui s’est beaucoup développé : au total, ce sont plus de 1600 chirurgiens qui ont été formés à cette chirurgie à l’IRCAD, à Strasbourg. A ces chirurgiens s’ajoutent tous ceux qui se sont formés grâce à l’université en ligne gratuite WebSurg, sur laquelle ont été publiées plus de 350 vidéos dédiées aux différentes techniques de chirurgie mini-invasive de l’obésité.
Et puis, au niveau de la recherche, l’IRCAD a aussi contribué au développement de l’endoscopie souple pour une chirurgie sans cicatrices, avec les travaux de Silvana Perretta.
Quelles sont, selon vous, les nouvelles approches voire les nouvelles technologies, qui vont permettre de faire progresser la chirurgie bariatrique et, plus généralement, le traitement de l’obésité ?
Dr. M. V.: Je pense que l’endoscopie va progresser ainsi que les interventions mixtes qui allieront endoscopie et chirurgie laparoscopique. Aujourd’hui, certaines équipes développent la chirurgie magnétique : il s’agit de créer une voie de communication entre deux organes, sans incision, en les collant grâce à des aimants. La pression sur les tissus au niveau des aimants provoque une ischémie dont la conséquence est l’ouverture d’une communication. Ainsi, avec cette technique, on peut imaginer amener une anse d’intestin à l’estomac, l’y fixer de façon magnétique afin de créer, au bout de 15 jours, une connexion, modifiant ainsi l’anatomie du système digestif. Cette technique, pour le moment, très confidentielle, permettra probablement à l’avenir de réaliser des chirurgies moins invasives. En effet, de nouvelles techniques endoscopiques de guidage et de placement des aimants permettront sans doute même, à terme, de s’affranchir de la chirurgie.
Je pense enfin que les solutions naîtront de la combinaison de plusieurs approches – chirurgicales ou interventionnelles et médicales. Les médicaments combinés à la chirurgie, permettront de mieux contrôler l’obésité. Actuellement, les analogues du GLP-1, qui ciblent le tractus digestif et agissent sur la vitesse d’absorption du glucose dans l’intestin et sur la sensation de satiété, offrent de grands espoirs dans le traitement du diabète et de l’obésité ; et d’autres molécules arrivent avec les progrès de la connaissance des mécanismes physiologiques de l’obésité. A terme, comme pour le cancer, il y a fort à parier que le traitement de l’obésité sera multimodal alliant chirurgie, médicaments et action sur le mode de vie.
La chirurgie batriatrique à l’IRCAD en chiffres :
Depuis 1996 année de la première formation en chirurgie bariatrique à l’IRCAD :
– 32 cours sur site ont été organisés à Strasbourg ; 1 620 chirurgiens ont été formés.
– En ligne, l’université numérique gratuite WebSurg compte 3 129 membres actifs en chirurgie de l’obésité.
Depuis sa création, en 2000, elle a publié 352 vidéos dédiées à la chirurgie bariatrique.
A propos de l’IRCAD :
Créé en 1994 par le Professeur Jacques Marescaux, l’IRCAD est un institut dédié à la formation et à la recherche sur la chirurgie mini-invasive. L’Institut strasbourgeois est un centre de renommée internationale, réputé pour l’excellence de ses formations qu’elles soient présentielles – près de 8 800 chirurgiens du monde entier sont formés, chaque année à Strasbourg – ou virtuelles, avec l’université en ligne Websurg, entièrement gratuite, qui compte plus de 470 000 membres connectés dans le monde entier.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://www.ircad.fr/fr/
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